samedi 11 juin 2016

Malefico - Donato CARRISI


Ciao Dolce Vita !


Cap sur le petit dernier du maître du thriller à l'italienne, j'ai nommé Donato CARRISI bien sûr ; dont le nom se propage à une allure folle sous la plume des critiques littéraires depuis Le Chuchoteur, son chef d’œuvre, sans conteste. 

Allez, je vous concède un petit « spoiler » pour les plus accros : l'auteur a lâché la bombe à l'occasion d'un concours sur les réseaux sociaux, très prochainement, nous aurons le plaisir de le retrouver dans La Fille dans le Brouillard. Pour l'heure, nous nous intéresserons aujourd'hui à Maléfico, suite s'il en est du Tribunal des Âmes.



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Marcus est un pénitencier. Un prêtre capable de déceler le mal enfoui en nous. Mais il ne peut pas toujours lui faire barrage. Sandra est enquêtrice photo pour la police. Elle photographie les scènes de crime et ferme parfois les yeux. Face à la psychose qui s'empare de Rome, ils vont unir leurs talents pour traquer un monstre. Ses victimes : des couples. Une balle dans la nuque pour lui. Une longue séance de torture pour elle.

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Un Architecte de Génie


Ce petit pitch étant fait, autant vous dire que la réalité va bien au-delà de la forme un peu simpliste du résumé. Comme à l'ordinaire avec CARRISI, il n'est pas question ici d'un énième polar qui, aussi distrayant puisse-t-il être, ira vite se noyer dans la marée de romans noirs qui sort chaque année pour finir par s'échouer sur vos étagères poussiéreuses.

Ce qui rend si spécial l'auteur est ce sens profond pour la véritable littérature, sa forme, sa richesse voire parfois sa technicité. Chacune de ses productions, derrière cette trame policière, renferment de véritables petits joyaux qui éveilleront les lecteurs du dimanche et rallieront les plus avertis et amoureux du classicisme à ce genre, plus contemporain.


Sur les Pas de l'Enfant de Sel


Au milieu de nulle part, à une heure interdite, de jeunes tourtereaux aux cœurs battants et aux sens émoustillés, s'apprêtent à se donner en amour. Enveloppés par les bras réconfortants d'immenses conifères, ils sont à mille lieux de Le distinguer, tapi dans l'ombre.

Depuis quelques temps, un maniaque hante les tréfonds de Rome et agite le Vatican en massacrant tous les jeunes amoureux qui auront le malheur de croiser son chemin. Plus que dans l'assouvissement d'instincts sanguinaires, sa perversion se concentre sur un seul et même dilemme : confronter les amants à leur lâcheté respective et souiller leur amour naissant en les poussant à commettre l'innommable. Tué ou être tué, voici le deal maléfique.

L'agent Sandra Véga, photographe de la brigade criminelle et spectatrice privilégiée de ses exhibitions machiavéliques décide de mener l'enquête, bientôt rejointe par Marcus, un pénitencier solitaire et amnésique, vieille connaissance au passé trouble. Leurs investigations communes et les détours empruntés vont bientôt les mener sur les traces de l'Enfant de Sel, tueur énigmatique et évanescent, bénéficiant, à son insu, d'une protection inexpliquée.

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Nul doute que l'on ne saurait s'arrêter là pour rendre hommage à cet ouvrage. L'intrigue policière s'analyse ici comme un savoureux prétexte pour aborder une problématique plus large, celle de la frontière entre le Bien et le Mal, cette ligne fragile à laquelle nous passons notre existence à nous accrocher tels des funambules. Les verrous en apparence inébranlables des hauts conciles sautent un à un et les desseins exubérants et horrifiques de quelques savants fous nous sautent au visage.

Le lecteur haletant est incapable d'arrêter sa lecture effrénée, captif de cette éloge à la cruauté et criante d'humanité. Les codes sociaux et moralisateurs instaurés comme des garde-fous se brouillent et lui font entrevoir toute la complexité de l'âme humaine.

C'est avec une esthétique à la Guillermo Del Toro, un suspens à la Seven, une documentation fournie et un style presque poétique que Donato Carrisi nous invite à nous interroger sur nos limites personnelles.


Note : 4/5

mercredi 8 juin 2016

Des Noeuds d'Acier - Sandrine COLLETTE


La Cabane au Fond du Jardin

Si mes bouquinesqueries ne sont, de manière générale, pas dictées et guidées par quelque récompense notable, aujourd’hui, nous mettons le cap sur le Grand Prix de Littérature Policière 2013 à savoir, Des Nœuds d’Acier de Sandrine COLLETTE (plume encore inconnue au bataillon), née en 1970 et universitaire à Nanterre. Un captivity thriller petit format de 282 pages, édité chez Le Livre de poche (et initialement aux Editions DENOËL, une maison du groupe GALLIMARD).
(Côté maquettage, petit clin d’œil pour cette initiative à l'éditeur qui nous offre en édition limitée, une illustration très soignée et travaillée, contrairement à ce que se veut l’esprit même du livre de poche d’ordinaire). 




C'est Arrivé Près de Chez Vous ...


Avril 2001. Dans la cave d'une ferme miteuse, au ceux d'une vallée isolée couverte d'une forêt dense, un homme est enchaîné. Théo, quarante ans, a été capturé par deux frères, deux vieillards qui ont fait de lui leur esclave.
Une histoire vraie ? Le livre se présente comme un travail de reconstitution, ensemble de notes compilées et romancées du condamné. Si, en réalité, le cœur de l'ouvrage relève bien de la fiction, il fait écho à de nombreuses affaires similaires et à la cruauté humaine, si l'on peut encore parler d'humanité à ce stade.
Un détachement s’opère d’entrée de jeu puisque notre héros ne vaut pas beaucoup mieux, éthiquement parlant que ses cerbères. En effet, sans aller jusqu'à parler de morale, Théo Béranger se trouve dans la position délicate de l'arroseur arrosé, un prédateur, tout juste sorti de prison pour avoir torturé son frère (je vous laisse en découvrir les motifs), aux prises, à son tour, avec deux infâmes et tous aussi surprenants bourreaux. 
L'horreur n'épargne personne.


Ma Dignité, Longtemps J'ai Voulu Te Garder


L’ouvrage se découpe en plusieurs parties correspondant chacune à une étape différente dans la progression de la déshumanisation du personnage principal. 
On passe de l’indignation à la colère, de la colère à la machination, de la machination à la résignation, de la résignation à la soumission voire même parfois à la domestication la plus absolue (l’auteur fait à cet égard un bon usage du champ lexical canin).
Le style est très intelligible et abordable, presque économique mais toujours percutant. On ne s’incommode pas de futilités et de détails, Sandrine COLLETTE nous emmène directement à l’essentiel ; ce qui pourrait paraître fort regrettable mais qui s’avère nécessaire dans pareil contexte pour garder le lecteur en haleine.
On côtoie l’abject, les immondices avec une normalité déconcertante. 
L’irrationnel, l’impensable finit par devenir le pain quotidien et ordinaire, ce qui à mon sens est le véritable berceau de l’horreur dans cet ouvrage, ce qui fait en somme figure d’abdication irrévocable.
Le spectateur démuni ne peut s’empêcher de se révolter contre le héros qui se répand docilement dans un esclavagisme éhonté ; qui, à bout de force et de cervelle, se perd dans la tourmente du syndrome de Stockholm et se surprend même à quémander la reconnaissance de ses « maîtres » entraînant dans son renoncement pathétique, dans cette chute sans précédent, le peu d’humanité à laquelle il se raccrochait. 
Un thème plutôt classique du genre et souvent abordé lorsque l’on traite des affaires de séquestration, en général.

La plume de l’auteure charrie les confins de la folie. 
Si l’on ne s’attend évidemment pas à un dénouement très heureux et surprenant, Sandrine COLLETTE sait cependant garder le lecteur happé en déplaçant habilement le curseur de notre attention. 
En effet, l’intrigue est menée de telle façon à ce qu’il ne soit plus fait grand cas du devenir du personnage qui, il faut bien l’admettre, nous parait perdu d’avance, mais plutôt qu’il soit fait une étude minutieuse de la fragilité de la condition humaine.
Plus qu’un roman, une véritable fresque sociologique voire même philosophique, à ne pas mettre entre toutes les mains.
Étrangement et contrairement à toute attente, au lieu de me miner, ce livre m’a insufflé, dès les premières pages, une terrible soif de vivre et une nouvelle prudence pour mes excursions pédestres à venir.


Note : 4/5

Le Prisonnier du Ciel - Carlos RUIZ ZAFON


Le Petit Prodige du Pavé Barcelonais

« Ecrire un roman, c’est comme construire une cathédrale, tout est une question de technique », Carlos R.Z.

L’histoire del niño qui voulait décrocher les étoiles
Issu d’un milieu populaire, le petit Carlos, né en 1964 sur les terres industrielles et misérables de Barcelone, avait déjà des rêves plein la tête et une détermination à toute épreuve : devenir un romancier au rayonnement international.
Très tôt, il est bercé par les grands patrons dont Aristote, Thomas Mann, preuve en est que la culture reste accessible et donc pas d’excuses pour les plus réfractaires. Selon lui, la littérature doit être perçue comme la « clé pour échapper à la pauvreté et à l’ignorance ».

Une plume couronnée de succès
A 29 ans, il migre Outre Atlantique, direction le rêve américain. 
La gloire aura pris quelques libertés avec notre ami concernant leur grand rendez vous, cette dernière le propulsant au sommet à l’aube de la quarantaine.
L’Ombre du vent, son premier roman, a reçu le prix Planeta, celui du Meilleur livre étranger pour la catégorie Roman et s’est vendu dans le monde entier à des milliers d’exemplaires.


Le Prisonnier du Ciel, Tome III

L’œuvre s’inscrit dans une saga (parue aux Editions Robert Laffont), Le Cimetière des livres oubliés des commencée depuis 2009 avec L’Ombre du Vent et le Jeu de l’Ange, les deux premiers volets.
Comme nous le rappelle Zafon, les divers volumes de la série peuvent être lus séparément et dans l’ordre qui vous plaira. Ces derniers permettent au lecteur d’explorer le labyrinthe d’histoires en y accédant par différentes portes et différents chemins qui, mis bout à bout, le conduiront au cœur du récit.

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Barcelone, 1957.
La sonnette tinte sur le seuil de la librairie Sempere. Le client s’approche de Daniel en boitant. L’objet de sa visite ? Un magnifique exemplaire du Comte de Monte-Cristo…
Qu’il laisse à l’attention de Fermin, en congé, accompagné d’un curieux message du passé.C’étaient les heures noires du franquisme : à la prison de Montjuic, parmi les damnés du régime, Fermin portait le numéro 13.Les fantômes refont surface. Dans l’ombre, le Cimetière des Livres Oubliés cache toujours son secret…

Six Pieds Sous Le Rêve

L’intrigue prend le temps de se lancer en douceur, le décor est idéal. Tout commence au cœur d’une librairie centenaire, Sempere & Fils ; une aventure familiale de la Barcelone d’après guerre, encore traumatisée par les horreurs du franquisme.
Les protagonistes sont authentiques, à l’image de l’écriture de Carlos Ruiz Zafon, avec ce voile de pudeur qui interpelle et promet des confidences "ébranlantes". 
Daniel (Sempere fils), coule des jours heureux et tranquilles aux côtés de sa petite fratrie et de son ami très cher Fermin. Jusque là rien de très extraordinaire, un portrait de famille assez commun.
Au moment même où l’on commence à s’installer confortablement dans ce cocon que l’auteur nous a créé, coup de théâtre, une visite indésirable vient sonner le glas de notre retraite, porteuse de message intrigant et menaçant : « Pour Fermin Romero de Torres, qui est revenu d’entre les morts et détient les clés du futur ».
Peu à peu, les secrets se dévoilent et remontent à la surface, telles des bulles de savon. Un coup de pied a frappé la fourmilière qui s’agite et se bouscule auprès de Fermin, destinataire de l’étrange dédicace, en s’interrogeant sur la nature de cette intrusion et sur l’implication de ce dernier ce retournement chaotique.
Alors que Fermin apparaît dès le début du récit comme un trublion pétillant et cynique, au verbe impeccable, la venue du mystérieux messager le renvoie dans les tréfonds peu glorieux d’un passé douloureux, à l’occasion duquel l’accent est mis sur une facette plus sombre de sa personnalité et sur la découverte d’un monde littéraire enfoui, de mensonges qu’il pensait étouffés à jamais.

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Ce que j’ai trouvé absolument délicieux dans l’écriture de Carlos Ruiz Zafon réside dans cette facilité qu’il arbore à ramener la langue (dans tous ses états) et ses nombreux paysages au devant de la scène, une quête honorable et une réhabilitation heureuse qui se fait de temps à autres au prix de quelque sacrifice syntaxique.
Cet amoureux des livres et des classiques évanouis dans les gouffres de la mémoire collective, prône son engouement pour le monde papier avec une insolence presque indécelable.
On ne peut pas passer à côté de son émerveillement face à ces vieilles librairies secrètes, recelant mille trésors, ce plaisir du dénicheur compulsif. On prend plaisir à se laisser entraîner sur les traces d’écrivains fantasques, réels ou non au travers des ruelles animées de Barcelona.
Tout n’est que poésie susurrée et parfois simplement suggérée.
Une ode à l’amour véritable de la littérature romanesque.

Note : 4/5