mercredi 2 avril 2014

Le Journal de Louise B. - Jean VAUTRIN


A l’origine photographe, cinéaste et scénariste sous le nom de Jean HERMAN, Jean VAUTRIN fait ses premiers pas littéraires avec des romans policiers. Rapidement, sa langue généreuse et inventive est reconnue et l’amène naturellement vers le Prix Goncourt 1989 avec son œuvre « Un Grand Pas Vers le Bon Dieu ». 

Livre après livre, avec beaucoup de souffle, il explore aujourd’hui la double veine du roman feuilletonesque et du roman noir.

L’auteur prend le genre policier très au sérieux en dévoilant toute l’ampleur de ses ressources. Porté par un verbe et un style forts, il devient l’instrument d’une bouleversante critique sociale.


Un écrivain prolifique (roman, nouvelle), souvent sous estimé car retiré dans sa campagne bordelaise loin des projecteurs mondains.

***

« Dans les environs d’Auxerre, en pleine campagne française, une jeune professeur d’anglais, Louise Anarcange, est violée par six de ses élèves après une fête de fin d’année où elle était conviée.
Louise, fille unique, fille modèle, a connu la souffrance d’une éducation stricte.
Son père, le Dr Anarcange, l’a protégée et peut être trop aimée. La question de l’inceste, subtilement omniprésente, explique peut être qu’à trente et un ans elle soit toujours vierge. Après le viol, Louise, qui a tout endossé jusqu’alors, explose littéralement.

Muette martyre, Louise Anarcange se transforme en Louise B., serial killeuse, double cynique et destructeur, sa « droite parallèle », qui baise et boit comme une fille perdue. Louise B., qui exercera sa vengeance contre les hommes. C’est le début d’une série de meurtres. Les héros de ce roman montrent que la frontière entre le Bien et le Mal demeure plus floue que jamais.

Louise est à la fois l’enfant cloitrée, la femme aux désirs refoulés, la victime et l’assassin, l’ange exterminateur. »


Dès le début de l’ouvrage, VAUTRIN annonce la couleur en citant BAUDELAIRE, « Ah Seigneur ! Donnez-moi la force et le courage de contempler mon cœur et mon corps sans dégoût » et O’CONNOR, « Et ce sont les violents qui l’emportent »… une capitulation devant le Mal ? Nous sommes prévenus et entrevoyions déjà l’atmosphère peu rassurante et chaleureuse des sentiers à emprunter.

Chaque chapitre est introduit par une phrase d’accroche personnelle à l’auteur. L’ingéniosité du procédé réside dans le fait qu’une fois lue, vous ne pouvez vous refuser de dévorer les lignes qui se profilent. A l’aide d’une pointe d’acidité, VAUTRIN pique nos nerfs à vif, chatouille une curiosité voyeuse et malsaine.

Ex : « Une fille toujours se fait dévorer par la bouche »

Il joue des mots à la façon d’un virtuose, tantôt en adoptant un style puissant et cru, frappe sans relâche les notes, tantôt en se lovant dans la douceur d’une poésie bourgeonnante, du bout des doigts caresse son clavier. A travers cet habile langage, il s’efforce de révéler la lourdeur du chaos que renferment les cœurs et les esprits.

« J’avais envie de m’égarer dans les méandres du cerveau du femme meurtrie. Je voulais un livre bleu, cette couleur étrange qui gomme les formes, créé du mystère. Avec Louise B.(leue), on traverse une zone onirique incontrôlable. Elle sombre, mais nous sommes les rescapés du naufrage d’une société chaotique. J’aime ce mot, chaos. Il définit bien notre époque, installée au seuil d’une nouvelle barbarie ».

Étonnamment le thème du viol en réunion ne semble pas intéresser le romancier, il se focalise exclusivement sur la psychologie de son personnage. Il veut dire le corps souillé, la peau brûlée à vif, l’esprit dévasté et revanchard. Dans cette noirceur, reste l’espoir d’un monde plus juste.

Un roman porté par une écriture d’une rare puissance, bouleversant de franchise. Inquiétant par la rudesse du langage employé ou encore par la position dans laquelle le lecteur se retrouve ; il assiste et se substitue aux souffrances et jouissances de l’héroïne, un travail de transposition fort déroutant.

On a mal pour elle, on s’essouffle avec elle, on La devient entièrement, on l’usurpe.

Je pense sincèrement que ce livre rendrait fou l’Ignoble, l’Innommable qui aurait eu le mauvais goût de perpétrer de tels actes, et qu’il réconforterait peut être les nombreuses victimes de ces ignominies en ce qu’elles trouveront sans doute là une voix qui les a comprises.


« Elle est dans le noir. Elle entrevoit les flammes de l’enfer. Elle a envie d’un corps neuf.
   Elle sait qu’à jamais elle n’aura de ressource que dans la révolte
 ».


Note : 4,5/5

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